L’enjeu du fair-play
Il ne fallait pas se rater, ne pas tout gâcher en quelques minutes. Faire une dskite. Vous savez, cette erreur d’une poignée de secondes qui fait chavirer un navire faisant une course parfaite.
Les socialistes avaient une tâche dimanche soir : mettre en scène vite et bien le rassemblement derrière la personnalité désignée.
En 2012, ils savent que la Présidence peut tomber, leur revenir enfin, 17 ans après le départ de François Mitterrand. Et avec, les douceurs du pouvoir qu’ils n’ont plus connues depuis 10 ans et le 21 avril 2002. Malgré les rivalités, les détestations parfois, les exaspérations souvent, chacun sent bien qu’il détient une petite partie de la clé du succès pour peu qu’il adopte un comportement responsable, fair-play, élégant.
De toute façon, même si cette « archaïque » de Martine ou ce représentant de la « gauche molle » de François gagne, ce sera un candidat sérieux. Comprenez : pas une illuminée intuitive mais brouillonne pour ne pas dire idiote comme Ségolène. Bref, cette fois-ci le PS peut gagner, ils le savent. S’il faut filer la présidence à un autre, un beau maroquin est à espérer pour tous.
Et puis, ils seront plusieurs à l’avouer, même s’ils reconnaissent à Nicolas Sarkozy de nombreuses qualités, il ne les tétanise pas comme en 2007. À l’époque, certains de leurs amis technocrates ou chefs d’entreprises formés avec eux dans les cabinets ministériels de gauche, certains journalistes même n’hésitaient guère à avouer un vote de deuxième tour, voire de premier, pour cet homme à l’image d’inlassable réformateur. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy est abimé par cinq années de pouvoir et les polémiques sur la sécurité et l’immigration ont ramené au bercail socialiste les brebis égarées.
Tout le microcosme socialiste et de la gauche raisonnable veut la victoire, tous ont dit à leurs leaders de ne pas « déconner ». Alors ceux-là ne déconnent pas.
Cela a commencé par les ralliements pour le second tour de la primaire. Que Valls et Baylet, se rallient à Hollande, cela semble naturel à tout le monde. Depuis l’émergence des partis marxistes dans les années 1920, les radicaux n’ont plus de radical que le nom. Quant à Valls, il est pour ainsi dire de droite. Montebourg et Royal se sont eux aussi ralliés, dans des termes choisis et mesurés certes, mais non équivoques et surtout contre toute logique idéologique. Montebourg, le démondialisateur, le dernier avatar en date de l’anti-pensée unique, vote pour François Hollande, ce Raymond Barre de gauche, qui partage avec le Premier Ministre de Valéry Giscard d’Estaing d’avoir enseigné l’économie à l’IEP de Paris, temple du raisonnable à la française. Le choix de la candidate de 2007 et du député de Saône-et-Loire est de préserver le candidat potentiel en lui assurant une victoire nette au second tour, éviter le cauchemar du Congrès de Reims, la situation floridienne et les recomptages qui s’éternisent.
La primaire ne résout que la question du leadership
Ce que les socialistes ne disent pas, c’est qu’en agissant ainsi, ils sont en train de profondément changer leur doctrine institutionnelle et renforcent encore la personnalisation de la Vème République. Plutôt que de choisir le candidat qui leur convient intellectuellement, idéologiquement, les socialistes, leaders comme électeurs de la primaire, ont choisi celui dont ils croient (mais comment en être sûrs 6 mois avant ?) qu’il est le plus capable de remporter le second tour de l’élection présidentielle. Ils respectent en cela le vieil axiome politique qui veut que l’élection présidentielle se gagne au centre. La gauche molle serait plus capable d’attirer les centristes que la dame des 35 heures. Pourtant, par deux fois, à chacune des deux élections présidentielles précédentes, cet axiome a été réfuté. En 2002, Lionel Jospin a été éliminé dès le 1er tour parce qu’il n’avait pas réussi à éviter l’éclatement de sa majorité plurielle en de multiples candidatures. En 2007, Nicolas Sarkozy a remporté une large victoire, dans une élection marquée par une forte participation, après une campagne incontestablement à droite et sans le moindre mot aimable pour François Bayrou et ses 18 % inattendus. Le choix de la primaire repose donc sur un pari incertain plutôt que sur une adhésion politique. Qu’en penseront en avril les électeurs potentiels de Jean-Luc Mélenchon et d’Eva Joly ?
Les vieux parlementaristes du Parti Socialiste, les partisans d’une VIème république primo-ministérielle, ces militants du collectif plutôt que de l’homme providentiel ont choisi un homme : 1- rejeté par son parti en 2008, 2- contre sa dirigeante actuelle, 3- sur sa capacité personnelle à remporter l’élection, 4- suivant un processus importé du régime présidentiel américain plutôt que des démocraties parlementaires européennes.
Vous allez me citer l’exemple de l’Italie, je vous vois venir ! Parlons-en alors. Il y a eu trois élections primaires en Italie, en 2005, 2007 et 2009. Elles réunissaient l’ensemble de la gauche et du centre-gauche italiens. Il y eut respectivement 4,3 millions, 3,5 millions puis 3 millions d’électeurs contre 2,8 millions à la primaire socialiste française. Une seule à ce jour, la première, fut couronnée de succès aux élections générales, avec la victoire de l’Union en 2006 et le retour de Romano Prodi au poste de Premier ministre. L’exemple est parlant car l’élection primaire et l’union incontestable derrière une personnalité n’ont nullement garanti l’unité idéologique et politique de la majorité de Prodi. Il fut défait par un vote de défiance dès 2008. Walter Veltroni désigné par la primaire de 2007 ne parvint pas à convaincre les électeurs italiens aux élections anticipées qui suivirent. Un processus de primaire pourtant plus large tant par le nombre de partis concernés que d’électeurs mobilisés n’a donc toujours pas permis à la gauche italienne de construire une coalition durable et crédible aux yeux des Italiens, même face à un leader aussi contesté que Silvio Berlusconi.
Aucun de ces arguments n’a prévalu. Il faut dire que le Parti socialiste disposait précédemment d’un processus de sélection archaïque et particulièrement inefficace : le Congrès, ses motions et ses courants ! Les Congrès socialistes ne sont qu’une longue suite de querelles picrocholines (Rennes en 1990, Reims en 2008), de consensus mous insipides (Le Mans en 2005) ou de coups de barre à gauche irréalistes (Liévin en 1994 au moment où il fallait pourtant convaincre Delors de se présenter…). Les deux leaders socialistes qui ont dirigé le pays, François Mitterrand et Lionel Jospin n’ont pas emporté leur désignation par le biais d’un Congrès. L’un s’est imposé comme un leader naturel, l’autre par son score au 1er tour de 1995 après une primaire fermée et improvisée pour pallier la défection de Jacques Delors.
Ainsi l’appel au suffrage universel direct apparaît-il davantage comme un moyen de sortir de la crise de leadership, de dépassement de procédures anciennes que comme un outil d’approfondissement démocratique, malgré tous les arguments déployés ex post.
Martine Aubry a joué sa partition avec talent dimanche soir. Les électeurs ont fait d’elle la perdante. Il lui revenait d’adresser avec diligence tous les signes de l’élégance et de l’unité, ce qu’elle a remarquablement fait. Les socialistes ont désormais un leader, incontestable, incontesté. François Hollande ne m’a personnellement impressionné à aucun moment de la campagne. Il est venu au Club Bourbon où j’ai été très surpris par la platitude des idées qu’il avançait. Je m’étais permis de lui dire que tout ce qu’il disait était dans tous les programmes politiques depuis 30 ans. Ces prestations lors des débats m’ont semblé creuses, mais peut-être était-ce dû à une stratégie de favori des sondages. D’ailleurs, aucun candidat n’a suscité en moi d’effet « Waouh, on va galérer face à celui-là/celle-là, il/elle est trop brillant(e) ». Dimanche, j’ai écouté la première intervention de candidat désigné par François Hollande et je le reconnais, je l’ai trouvée remarquable. Mais la primaire ne résout que la question du leadership et laisse pendants les autres non-dits de la gauche. Là où un chef de l’opposition européen dispose de quatre ou cinq ans pour bâtir un programme, François Hollande n’a que quelques semaines pour consolider le consternant projet socialiste, l’aligner sur des hypothèses de croissance plus crédibles et le réconcilier avec ses ajouts personnels (qu’adviendra-t-il du très contesté contrat de génération ?). La question des alliances reste ouverte : quelle capacité d’influence pour les Verts sur le programme et les investitures ? Comment choisir entre Mélenchon et Bayrou dont on ignore tant les intentions que le poids dans l’opinion ?
La bataille va bientôt commencer. Je reste un sarkozyste enthousiaste et convaincu.
La bataille va bientôt commencer. Je m’en réjouis. Je continue de penser que le programme socialiste est mauvais pour la France, que mon champion est le seul – je pèse mes mots – le seul non seulement désireux mais surtout capable de réformer la France.
La réforme fiscale que nous annoncent les socialistes, et même si je peux en partager quelques considérations techniques, se soldera par une augmentation des prélèvements obligatoires de 50 milliards d’euros. On ne peut tout simplement prélever une telle somme sur les seuls « riches », grandes entreprises assoiffées de licenciements « boursiers » et autres spéculateurs honnis. Tout le monde y passera, y compris dans la classe moyenne inférieure. Et encore cette évaluation à 50 milliards dépend-elle de la capacité des socialistes à maintenir par ailleurs la croissance des dépenses publiques à des taux faibles. Sinon il faudra dépasser cette somme pour respecter les objectifs de déficit public.
Sans être partisan d’un État minimaliste, il me semble que 1- le taux de prélèvements obligatoires en France est trop élevé et étouffe la croissance et la création d’emplois 2- que même à taux de PO constant, l’État au sens large (administrations nationales, locales, de sécurité sociale) n’en donne pas pour leur argent aux Français. On peut faire mieux avec autant et on ferait mieux de faire avec moins. Il faut donc continuer les réformes. Et en France, les réformateurs ça ne court pas les rues. On en a un, un seul, et c’est Nicolas Sarkozy.
Il me semble en outre que le bilan du Président de la République est tout simplement remarquable. Évidemment, l’écart entre le programme de 2007 (dont je suis un fan absolu) et la réalité des réformes est non nul. Un Président n’est pas un dictateur. Il y a un parlement, une administration, des partenaires sociaux, dont la dynamique participe du contenu des réformes. Il n’en demeure pas moins que l’on n’avait jamais fait autant de réformes en France et qu’elles étaient attendues depuis fort longtemps (parfois à droite comme à gauche) : service garanti dans les transports, autonomie des universités, baisse du nombre de fonctionnaires, réforme de la représentativité syndicale, réforme des régimes spéciaux, réforme des retraites, fusion ANPE/UNEDIC, fusion comptabilité publique/trésor public, activation des minimas sociaux avec le RSA, sanctuarisation des investissements avec le Grand emprunt, allégement du mille-feuilles administratif avec la réforme des collectivités locales, suppression de la taxe professionnelle, etc. Quelles que soient les coquetteries des élus de droite ou les hypocrisies des élus de gauche, depuis 20 ans, ils avaient tous fait campagne sur ces réformes tout en se lamentant une fois élus, au bistrot du coin et sur les marchés, de leur propre impuissance à les mettre en œuvre.
Enfin, face à la crise, le Président s’est montré un vrai leader international capable de trouver des solutions originales et rapides même si la prise de décision multilatérale ralentit la capacité d’action.
Oh, je ne suis pas aveugle ou déconnecté de la « vraie » vie, ma famille est dans la vie réelle et je suis le seul à évoluer dans le microcosme. Je sais que les Français souffrent de la crise, que le chômage ne baisse pas, que le pouvoir d’achat n’augmente pas assez vite et que tout cela empêche ce qui serait une juste évaluation du bilan. Je me borne à vous dire ma conviction tout en ayant conscience de la difficulté à la faire partager dans ce contexte.
La primaire socialiste interpelle ma famille politique
Par ailleurs, la primaire socialiste interpelle ma famille politique sur le mode de désignation de son leader dans la perspective de 2017.
Je ne suis pas un partisan inconditionnel du suffrage direct. D’une part, la démocratie représentative est une invention humaine qui permet que l’omniscience ne soit pas une condition de la citoyenneté. D’autre part, le suffrage direct n’est pas spontanément démocratique. Les votations helvétiques laissent parfois s’exprimer le pire des populismes. Les propositions californiennes sont l’une des causes du blocage politique de cet état américain. L’élection du Parlement européen au suffrage universel direct depuis 30 ans n’a rien fait pour faire émerger une démocratie européenne et bien peu pour rapprocher l’Europe des citoyens.
L’élection au suffrage universel direct du Président de la République en France a permis en revanche, au-delà de la présidence du fondateur de la Cinquième, de discipliner le système de partis et d’éviter le retour de l’instabilité de la Quatrième. Il s’agit d’un bien précieux qui a permis de faire fonctionner dans notre pays une démocratie parlementaire à l’européenne même si le chef de l’exécutif est élu lors d’un scrutin distinct de celui qui désigne sa majorité.
La désignation selon un vote préalable du candidat d’un parti est en un sens un hommage du vice, la partitocratie, à la vertu, la république gaullienne, le symbole de la modernité définitive de la Vème République qui a discipliné les partis au point qu’ils se sont pleinement emparés de son scrutin fondateur. À droite, depuis la démission de Jacques Chirac de Matignon en 1976 et sa conquête du RPR, les partis sont de toute façon conçus comme des écuries présidentielles. Par ailleurs, quand elle survient, la division de ma famille politique cause bien souvent sa défaite. Dès lors, s’il faut se présenter unis dès le premier tour de l’élection présidentielle et par conséquent résoudre les querelles de personnes et idéologiques (qui sont quand même parfois les mêmes) autant le faire suivant un processus démocratique, ouvert, transparent et intéressant le maximum de Français plutôt que par des manœuvres d’appareil. Donc oui à l’élection primaire !
La question est selon moi de savoir comment déconnecter ce choix de la pure démocratie d’opinion et éviter que le processus ne désigne le favori des sondages quelques mois avant l’élection. Ainsi, mon cœur de balladurien saigne de le reconnaître, s’il avait fallu désigner un candidat de droite au cours d’une primaire en septembre 1994, Édouard Balladur aurait été désigné sans coup férir pour maximiser les chances de gagner en mai 1995. Or c’était en réalité Jacques Chirac dont le message était le plus en adéquation avec la société française. En outre, on voit bien les problèmes de réconciliation tardive entre un candidat et son parti à travers la campagne de Ségolène Royal en 2007 (et en creux par la mise en scène réussie d’hier soir à Solférino) et au contraire la force que Nicolas Sarkozy a tiré de son leadership de l’UMP acquis très tôt dans le quinquennat et officialisé en 2004. D’ailleurs, en Europe, les leaders de l’opposition sont désignés dans la foulée de la défaite à une élection générale et construisent ainsi patiemment un programme et une équipe tout en représentant une alternative permanente au pouvoir en place.
Si l’on regarde la primaire socialiste, on s’aperçoit aussi de quelques surprises par rapport aux sondages : la faiblesse de Ségolène Royal et Manuel Valls ou la force d’Arnaud Montebourg. Peut-être que s’ils avaient connu cette photographie de l’opinion, les électeurs de la primaire auraient-ils été davantage décomplexés. Arnaud Montebourg aurait pu faire un score supérieur et nous aurions peut-être eu un autre second tour. Ce processus d’aller-retour entre l’électeur individuel et le résultat du vote de l’ensemble permet de connaître l’état des forces en présence plus précisément et justement qu’un sondage et d’avoir ainsi un débat à mon sens plus fondamental et intellectuel. C’était d’ailleurs le sens de la proposition initiale d’Arnaud Montebourg qui voulait un processus à l’américaine avec des primaires par région et une grande convention de réconciliation. Finalement, le parti socialiste a retenu une mécanique à l’européenne (un suffrage organisé sur une journée) mais avec un timing américain (quelques mois à peine avant l’élection). Il me semble qu’une procédure plus précoce, au moins 3 ans avant l’élection pour laisser du temps de préparation au nouveau leader est indispensable. Cette désignation pourrait éventuellement prendre une forme américaine, avec des tests successifs (votes régionaux ou scrutins indicatifs façon straw poll) afin de s’éloigner des sondages, imparfaits par nature.
Bon, je n’écris pas souvent, mais quand j’écris vous avez de la lecture. Et si vous avez lu jusqu’ici, bravo et merci à vous !